Retrouvez le plaisir de manger. «Les Pepsi», c'est ainsi que, dans les années 1950, les Canadiens anglais surnommaient les francophones, en référence à leur pingrerie supposée (le Pepsi se vendait moins cher que le «Coke»), mais aussi à leur grande consommation de boissons gazeuses. À l'aube de la Révolution tranquille, on ne mangeait visiblement pas très «santé» dans la Belle Province. Les choses ont changé. Aujourd'hui, les Québécois ingurgitent encore beaucoup de boissons gazeuses (ils arrivent au deuxième rang au Canada, après les Ontariens). Mais ils sont devenus les champions de la consommation de fruits et de légumes. C'est ce qui ressort d'une vaste étude sur le contenu du panier d'épicerie des Québécois publiée l'année dernière par le ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Pêcheries du Québec. «C'est maintenant ici que l'on se préoccupe le plus de l'aspect santé de son alimentation», confirme Céline Berre, vice-présidente à la firme de sondage Crop qui étudie nos habitudes alimentaires depuis une vingtaine d'années. C'est aussi chez nous que l'on passe le plus de temps à manger et à cuisiner; et où le plaisir relié à l'alimentation est le plus exprimé. «Dans nos sondages sur les valeurs des Canadiens, la notion de plaisir prend toujours plus de place au Québec. L'alimentation n'échappe pas à cette tendance», poursuit Céline Berre. Rien pour étonner Jean-Pierre Lemasson. Pour le directeur du certificat en gestion des pratiques socioculturelles de la gastronomie à l'Université du Québec à Montréal, les Québécois sont indéniablement une minorité alimentaire distincte. «Nous avons certes subi l'influence anglo-saxonne, mais il y a un fond français qui sous-tend notre singularité», affirme-t-il. Un fond français qui, loin de disparaître, prendrait au contraire de la vigueur. En témoigne, selon le sociologue, notre manie de nous réunir autour d'une table à la moindre occasion, et l'émergence, depuis une quinzaine d'années, de produits du terroir. «Manger est devenu un plaisir festif dont on peut mesurer l'intensité dans les restaurants à partir du jeudi soir, au moment des fêtes, mais aussi des anniversaires des collègues et amis que l'on invite à dîner pour souligner l'événement. Il y a aussi tous ces festivals alimentaires et culinaires: la fête de la bière, le salon du chocolat; cela n'arrête pas.» Et c'est en plein coeur de l'hiver, avec le Festival Montréal en lumière, que culmine cet amour collectif voué à l'aliment. Le succès de ces agapes collectives ne se dément pas depuis 10 ans. Autre signe distinctif, la production d'aliments de qualité ayant une forte identité régionale. En 2006, après des années de tergiversations, l'Assemblée nationale a adopté la Loi sur les appellations réservées et les termes valorisants, qui protège et permet de mettre de l'avant les produits du terroir. Certes, le menu habituel des Québécois ne se compose pas toujours de porc bio de Montérégie, d'agneau de Charlevoix, de fromages artisanaux ou de baies de sureau. Mais ces aliments «pure laine» sont aujourd'hui adoptés par les plus grands chefs, les Normand Laprise, Daniel Vézina, Giovanni Appollo, Jean Soulard, Laurent Godbout, dont la réputation dépasse de plus en plus nos frontières.